Description
« Julian Bream est un personnage très particulier auquel Benjamin Britten et Rodney Bennett, parmi d’autres, ont dédié d’importantes compositions. Il entendit un jour à la BBC mon concerto pour violon, enregistré par la radio hollandaise, et il demanda si l’auteur était bien “ce cubain qui écrit pour la guitare”. Jusque-là, Bream ne s’était jamais vraiment frotté à la musique sud-américaine, ce n’était pas sa ligne, mais après avoir découvert mon concerto pour violon, il me demanda, par l’intermédiaire du producteur de la BBC Garrett Walters, d’écrire pour lui, et c’est ainsi que naquit le Concierto elegiaco. Par la suite, en 1990, j’écrivis pour Julian Bream ma première sonate. Les trois mouvements de cette sonate ne font pas directement allusion aux compositeurs dont ils portent les noms. Il y a une citation de Beethoven vers la fin du premier mouvement, Fandangos y boleros, lors d’une “visite de Beethoven au Padre Soler” sortie tout droit de ma fantaisie. Cette aberration issue de mon imagination réunit Soler, l’auteur du chef d’œuvre qu’est son Fandango, et la forme-sonate fragmentée qu’utilise Beethoven dans le premier mouvement de sa Pastorale, deux éléments qui se retrouvent aussi dans le premier mouvement de ma sonate. C’est une œuvre complexe : le matériel fragmenté du premier mouvement est une sorte de puzzle dont on peut recomposer et redistribuer les couleurs à la manière des Magic Squares de Paul Klee. La Sarabande de Scriabin, le second mouvement de la sonate, est mon hommage à ce compositeur, mais on n’y trouve aucune influence de sa musique. Quant à la Toccata de Pasquini, le dernier mouvement de la sonate, elle est basée sur les deux notes du « coucou ». La sonate est sans doute aussi difficile à comprendre qu’à jouer, mais c’est comme cela, si on l’aime, tant mieux !
J’avais en tête la “vision” des préludes de Debussy lorsque l’ensemble des six Preludios epigramáticos s’est irrésistiblement imposé à ma plume dans les années ’80. Ces préludes s’intitulent epigramáticos parce qu’ils sont courts à la manière des hai-kus japonais qui comportent dix-sept vers improvisés par trois poètes. Ici, à l’atmosphère de résonance présente dans presque toute ma musique pour guitare s’associe une micro structure correspondant aux hai-kus. Parmi les préludes, certains ont une écriture sérielle qui n’a rien à voir avec celle de Schoenberg, elle s’apparente non au langage mais au système qui est, dans ce cas-ci, basé sur le nombre 17, des séries de dix-sept notes, des accords réunissant dix-sept sons… ce sont des règles internes, propres à chaque compositeur, mais ce qui compte avant tout, c’est l’atmosphère ! Ici, elle passe à travers les poèmes de l’espagnol Miguel Hernández, mort dans les prisons de Franco, chacun des préludes porte un titre qui est le premier vers de l’un de ses poèmes.
En Amérique latine, les compositeurs font souvent référence à la musique populaire de leur pays, dans le domaine de la guitare, je pense à Barrios, à Lauro… En ce qui me concerne, j’ai réalisé une série de transcriptions, ou mieux, de versions de thèmes issus de la culture populaire cubaine, ce sont des thèmes très simples et très connus qui ont notamment donné naissance à Canción de cuna et Ojos brujos.
L’Elogio de la danza est probablement la pièce que j’ai composée le plus rapidement, et c’est aussi l’une de mes préférées. Un jour de 1964, le chorégraphe Luis Trapaga m’avait demandé d’écrire une musique pour guitare destinée à accompagner un “pas de trois”, c’était urgent ! J’avais devant moi un après-midi pour composer la pièce, et la matinée du lendemain pour l’enregistrer à la Radio Diffusion de la Havane… Je l’ai fait ! Cet Elogio de la danza est conçu en deux parties, la première est un adagio (lento) en hommage au grand ballet classique, tandis que la seconde (obstinato) rend hommage aux ballets russes de Diaghilev… et un peu aussi à Stravinsky.
Les Estudios sencillos (je ne nie pas la terminologie) sont vraiment des pièces simples mais dont le langage est relativement moderne. La première série de dix études a été pensée pour de très jeunes enfants, tandis que la seconde s’adresse à des guitaristes plus avancés. J’utilise le terme « étude » non seulement par rapport au développement technique d’éléments propres à la guitare, mais également par rapport au style et à la sonorité. La deuxième série, les études XI à XX, s’intéresse plus particulièrement aux ornements dans le but de faciliter l’abord de cet aspect particulier à la musique baroque… mais sur un ton résolument moderne ! J’ai connu un vieux professeur qui n’aimait pas ces études parce qu’elles n’ont pas de mélodie, mais il reconnaissait aussi que tous ses jeunes élèves les jouaient et les aimaient beaucoup !
Canticum a été composé à la demande d’un professeur qui voulait enseigner la musique contemporaine à ses étudiants. J’ai fait de cette composition en deux mouvements – eclosion et ditirambo – une espèce de catalogue sonore d’éléments thématiques, d’atmosphères et de timbres qui constituaient le langage des années ’60. Je me suis plu à y exploiter sans relâche le groupe de trois notes chromatiques duquel est issu tout le développement de la pièce. Cette composition utilise fondamentalement la même structure, la même musique basée sur un thème se limitant à trois notes chromatiques, que le Concierto elegiaco, la Espiral eterna et Per suonare a tre. C’est une sorte de tétralogie sans, bien sûr, la vision monumentale de Wagner ! Canticum est une œuvre forte au sein de laquelle Ditirambo, plus que structure, plus qu’atmosphères et sonorités, est un hommage à la catharsis.
J’ai composé beaucoup de musique pour le cinéma, notamment pour le film en noir et blanc Un dia de noviembre(1967) du réalisateur cubain Humberto Solaz. Dans ce métier, il n’y a pas vraiment de secret, il faut un thème triste, un thème pour l’héroïne, un thème pour le méchant, un autre pour le bon … Le thème de Un dia de noviembre, très simple et de caractère sentimental, est celui de la jeune héroïne du film ».
Propos recueillis par Françoise-Emmanuelle Denis le 24 juillet 1997 à Cordoba.
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