Description
Judicaël Perroy devait avoir seize ans. Le hasard, deux places de concert offertes par le magazine Télérama aux premiers qui les solliciteraient, c’est ainsi qu’accompagné de son père, Judicaël découvre Nikita Magaloff ; le pianiste joue Chopin à la salle Pleyel. Bouleversé par ce concert, le jeune garçon se met à fréquenter assidûment la médiathèque de Beaubourg ; ses enregistrements préférés sont les trois dernières sonates pour piano de Beethoven par Serkin, les impromptus de Schubert par Brendel et les études de Chopin par Pollini. Les concerts seront pour plus tard, quand ses ressources le lui permettront.
À quelques années de là, une promenade dans Paris avec un ami guitariste amène les deux jeunes gens devant le Théâtre de la ville où un récital de Sviatoslav Richter est annoncé, complet malheureusement. Mais voilà qu’une dame âgée les aborde et leur offre de racheter les places que lui ont laissées deux amies empêchées d’assister au concert. Ils se retrouvent bientôt assis à côté de la dame. Elle leur raconte avoir été présente, encore enfant, à l’enterrement de Scriabin, c’était peu de temps avant de fuir la révolution russe avec sa famille.
Richter joue dans l’obscurité totale, aidé d’un tourneur de pages et d’une petite lampe pour éclairer la partition. Le pianiste russe enchaîne sans entracte Prokofiev, Ravel et Scriabin ; un choc absolu, une ambiance fantomatique, des ombres flottantes, une concentration exceptionnelle dans le public. A l’issue du concert, la vieille dame russe a été la seule personne autorisée à rejoindre Richter dans sa loge. Inoubliable.
JUNE fait partie du cycle Les saisons opus 37a de Tchaïkovsky. Dans un premier temps, les douze pièces sont publiées une à une en supplément d’un magazine musical mensuel de Saint-Pétersbourg. À la demande de son éditeur, Tchaïkovsky compose chaque mois un morceau évocateur illustrant le mois concerné. La douceur du mois de juin lui inspire une barcarolle en sol mineur dont la mélodie nonchalante est interrompue par un court allegro giocoso central en mode majeur. La tonalité originale est modifiée au profit de celle de ré mineur dans cet arrangement pour guitare. La sixième corde accordée en ré rend l’instrument particulièrement expressif grâce à son ambitus de trois octaves et une quinte, faisant de « juin » une introduction éloquente à cet album.
Le prélude opus 23 n°5 de Rachmaninov interprété par Nicola Hall sur son album Virtuoso Guitar Transcriptions (1) donne à Judicaël une furieuse envie de le mettre à son répertoire. D’infructueuses tentatives de prise de contact avec la guitariste anglaise remettent à plus tard la réalisation de ce projet. En 2019, Antoine Fougeray offre à Judicaël Perroy son arrangement du prélude convoité mais aussi celui du Prélude pour la main gauche de Scriabin. Du fabuleux compositeur russe, il adapte encore deux des vingt-quatre préludes de l’opus 11 en hommage à Chopin et le touchant prélude opus 16 n°4. Les timbres de la guitare, inédits dans ce contexte, ainsi que ses moyens expressifs très différents de ceux du piano, donnent un ton nouveau aux pièces aussitôt testées en concert par Judicaël.
Séduit par cette démarche, le compositeur et guitariste bulgare Atanas Ourkouzounov participe bientôt au projet qui se dessine. Dans un style évocateur et concis, il compose en l’espace de quelques jours Cinq postludes en hommage à cinq figures marquantes de la musique russe. Les miniatures sont confiées à la maison d’édition Fougeray créée entretemps. Chaque postlude comporte une citation, il s’agit du Prélude opus 23 n°1 pour Rachmaninov, de Circus Polka pour Stravinsky, de Juin et Février opus 37a pour Tchaïkovsky, des Visions Fugitives opus 22 n°5 pour Prokofiev et du Prélude opus 74 n°1 pour Scriabin.
La sonate n°2 pour guitare (2) de Dušan Bogdanović apporte un contraste puissant au sein de cet album. Le compositeur d’origine serbe y développe ses idées dans un langage harmonique très chromatique variant entre modal et polymodal, parfois atonal et même néo-romantique dans le scherzo. De coupe classique en quatre mouvements (allegro, lento, scherzo et allegro), la sonate présente de fréquents changements de mesure, la métrique est dérivée du folklore balkanique (3), la dynamique est importante et les suggestions de nuances et de timbres nombreuses. En outre, l’importance des différentes voix de la polyphonie requiert l’attention particulière de l’interprète, comme dans le cas d’une fugue ou d’un ricercare. L’écriture dense et la richesse expressive de cette sonate en font une œuvre majeure du répertoire de la guitare classique.
Les Variations sur un thème de Scriabin d’Alexandre Tansman sont apparues tout naturellement comme la conclusion évidente de cet album inspiré par l’univers pianistique russe. Le compositeur polonais utilise comme base des six variations la version pour guitare du quatrième des cinq préludes opus 16 de Scriabin réalisée par Andrés Segovia.(4) Ce dernier évite les six bémols de la tonalité originale de mi bémol mineur et opte pour celle de si mineur plus confortable à la guitare. Le court prélude de douze mesures figure au sommaire d’un album enregistré par le maestro en 1956.(5) Depuis sa Mazurka (6) dédiée à Segovia en 1925, Tansman soumet ses manuscrits au virtuose espagnol qui les adapte aux particularités de son instrument, les met au programme de ses concerts, les enregistre et les fait éditer. Les Variations sur un thème de Scriabin datent de 1972, Tansman est alors âgé de 75 ans ; Segovia qui en a presque quatre-vingts en est le dédicataire mais c’est Alvaro Company qui signe la révision et les doigtés de la partition éditée chez Max Eschig l’année même de sa composition.
1 DECCA, 1991.
2 Commande des Concerts d’été en l’église de Saint Germain, à Genève, en 1985.
3 Les rythmes des Balkans consistent en un ou plusieurs groupes binaires se combinant avec un groupe ternaire.
4 Celesta Publishing Co., New York, NY, USA, 1945.
5 DECCA DL 9832, 1956.
6 Première pièce pour guitare composée en 1925, créée à Paris le 6 mai 1925 par Andrés Segovia et publiée chez Schott Söhne à Mainz en 1926.
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